Historique
Petite histoire de la désinstitutionnalisation au Québec
Amorcée dans les années soixante au Québec, la désinstitutionnalisation est surtout documentée du côté de la santé mentale et de la déficience intellectuelle, mais elle est loin de leur être exclusive puisqu’elle a aussi emporté dans son sillage d’autres « populations » (personnes âgées en perte d’autonomie, adultes avec handicaps multiples, enfants en difficulté, etc.).
Jusque là, depuis des décennies, on avait l’habitude au Québec et ailleurs en Occident d’isoler et d’enfermer les malades mentaux dans des asiles ou des hôpitaux psychiatriques. « L’histoire du traitement du malade mental est l’histoire de l’isolement spatial du fou et de son oubli » (1), il fallait séparer physiquement le malade de la communauté et l’oublier.
De l’asile à la communauté
Ce n’est qu’après la Deuxième guerre mondiale que l’on commence à s’interroger sérieusement sur les effets de l’internement des « malades » et que l’on commence à comprendre qu’un enfermement prolongé entraîne une perte des aptitudes nécessaires à la survie en société. C’est aussi dans l’après-guerre que le nombre de psychiatres se met à croître fortement (2) et, formés aux conceptions modernes en psychiatrie et en psychanalyse aux États-Unis ou en France, ils veulent réformer les institutions auxquelles ils se joignent à leur retour d’études. L’après-guerre marque aussi le début de trois décennies de prospérité et d’un développement sans précédent des politiques sociales à travers le monde. De plus, s’amorce aussi la révolution psychopharmacologique et, grâce aux nouveaux médicaments, la maladie mentale devient finalement curable. Aussi, dans un tel contexte, les psychiatres modernistes finissent-ils par l’emporter et, à partir des années soixante, on interdit l’agrandissement des hôpitaux psychiatriques et ce sont les hôpitaux généraux qui doivent traiter la maladie mentale, devenue une maladie comme les autres (3) et donc guérissable. C’est depuis ce temps que les hôpitaux généraux doivent avoir un service de psychiatrie (4). Parallèlement, le développement de services communautaires, de foyers de réhabilitation et d’ateliers protégés devaient permettre de faciliter la réintégration sociale des malades car on commence à penser que « la pire maison est préférable au meilleur hôpital » (5). Surtout après la publication du livre-choc, en 1961, de Jean-Charles Pagé (6) sur son expérience en tant qu’ex-patient de Saint-Jean-de-Dieu (devenu Louis-H.-Lafontaine), dont la postface est signée par Camille Laurin, figure de proue des psychiatres modernistes au Québec à l’époque.
Or, si cette première vague de désinstitutionnalisation a bel et bien mené à une sortie importante des personnes des hôpitaux psychiatriques, les ressources devant assurer leur maintien et leur réinsertion sociale restèrent peu développées (7). La même situation a été vécue par les personnes âgées en perte d’autonomie, les adultes avec des handicaps multiples et par les enfants en difficulté.
La désinstitutionnalisation, au départ, se fait donc pour des motifs humanitaires et des motifs thérapeutiques, mais avec la crise du début des années 1980, la montée du néolibéralisme et des « fondamentalistes monétaires » (8), sa justification devient à peu près uniquement financière puisqu’elle permet d’économiser beaucoup d’argent à l’État.
Un réseau sans soutien financier
Le réseau des ressources non institutionnelles n’a donc jamais eu beaucoup de soutien financier de l’État, malgré les économies qu’il lui permet de réaliser. Par exemple, on estime que, dans les années quatre-vingt, le coût par jour est de 280 $ à l’hôpital psychiatrique, comparativement à 16,10 $ en famille d’accueil (9).
À partir de la fin des années 1980, nous disposons du témoignage de Vital Simard, qui a travaillé au ministère de la Santé et des Services sociaux, de 1988 à 2005. D’abord engagé comme agent de liaison avec les différents établissements de la région de Québec, on lui confie rapidement la responsabilité du dossier des familles d’accueil parce que la grogne s’installait parmi les ressources qui trouvaient anormal le fait « que pour une même personne [un même usager] qui présentait les mêmes difficultés, on avait des écarts inexplicables et inéquitables » (10) d’une région à l’autre. À cette époque, la contribution de base était fixée par le ministère mais, si l’usager présentait des problèmes plus importants, c’était chacun des Centres de services sociaux (CSS) qui « s’était donné une grille pour distinguer entre une famille d’accueil régulière et spéciale » parce que « le Ministère n’avait pas fait ses devoirs à cette époque-là » (page 47).
Chaque fois que M. Simard parle d’un comité qu’il a mis sur pied pour régler une problématique liée aux RI/RTF ou aux familles d’accueil (11) , il prétend avoir réuni au sein de ce comité l’ensemble des partenaires et c’est sur une base consensuelle que, chaque fois, le comité adoptait une nouvelle définition ou solution (12) qui était par la suite présentée comme proposition au ministre (13).
Du club de lecture au syndicalisme
Or, selon Alcide Genesse, président du Regroupement des ressources résidentielles adultes du Québec (RESSAQ) et ressource accréditée depuis 35 ans, jamais les comités mis sur pied jusqu’à l’élaboration du projet de loi 49 n’ont servi à la consultation réelle des partenaires. Soit y étaient invitées des ressources choisies par le gouvernement, soit le comité servait à expliquer aux « partenaires » ce que le gouvernement allait faire, puis il procédait sans tenir compte de l’opinion exprimée par les représentants du RESSAQ ou de l’ARAPAQ (14), son prédécesseur. Ce qui fait dire à Alcide Genesse que jamais auparavant le RESSAQ n’était partie prenante des décisions, une situation qui a changé depuis que le gouvernement a décidé de ne pas contester le jugement Grenier et qu’il a dû créer un nouveau cadre de relations du travail pour les ressources.
La juge Grenier n’a pas avalé non plus la conception de consensus de M. Simard et a rappelé fort judicieusement, en parlant du régime mis en place par le gouvernement avec la Loi 7, qui était le prolongement de la pratique établie par M. Simard, qu’« on ne peut traiter de la même manière un syndicat et un club de lecture. Les syndicats ont une histoire. Leur reconnaissance est faite de luttes incessantes et d’espoirs trop souvent déçus. Ils ont dû affronter la répression avant de conquérir le droit d’exister et de représenter l’intérêt de leurs membres. (…) Historiquement, les travailleurs se sont unis pour aplanir les inégalités de puissance de négociation inhérentes aux relations employeur-employé et se prémunir contre des conditions de travail injustes, dangereuses ou favorisant l’exploitation » (15).
Il est aussi cocasse de lire les propos de M. Simard quand il essaie d’expliquer à la juge Grenier que l’argent qui est versé aux ressources n’est pas un salaire, ni une rétribution, et qu’il n’a fait que perpétuer une pratique (en fait, M. Simard parle d’une philosophie) qui existait depuis les années 1970 (page 293). Après avoir dit que « ce n’était pas considéré comme un travail », c’était « comme un peu un bénévolat » (page 46), il se rétracte plus tard en disant : « Je me suis mal exprimé si vous avez compris ça » (page 190). La compensation financière était versée pour répondre au questionnement : « comment je peux vous compenser adéquatement pour que vous puissiez accueillir [cette personne-là] tout en ayant pas à défrayer les dépenses que ça peut vous occasionner et aussi reconnaître votre implication communautaire » (page 46).
Encore une fois, la juge Grenier y a vu clair : « Il faut reconnaître que, dans le cas présent, bien que le gouvernement n’est pas l’employeur véritable des (…) RI/RTF demanderesses, il est l’autorité publique qui assure leur financement. Il n’est pas un tiers neutre et désintéressé par la négociation. D’où le besoin de contrôle » (16).
Pour conclure, nous dirons que, « [...] dans la société partenariale, les acteurs doivent avoir des droits et des devoirs réciproques. Ils doivent avoir un pouvoir et des responsabilités comparables. Ils doivent retirer des avantages tangibles ou intangibles de même importance. Bref, ils doivent être égaux dans la coopération. Cette équité – les Américains disent fairness – est essentielle [...] sans équité, il n’y a pas de partenariat » (17). Ce sera bientôt chose faite pour les ressources, qui pourront négocier d’égal à égal avec le gouvernement et même avoir leur mot à dire sur la façon dont va se poursuivre la désinstitutionnalisation au Québec.
L’histoire du RESSAQ
A l’origine, deux associations représentaient les intérêts des résidences d’accueil à l’adulte dans les années quatre-vingt-dix, soit l’Association des résidences d’accueil du Québec (ARAQ) et l’Association des ressources adultes et personnes âgées du Québec (ARAPAQ). Quant à ce dernier, sa date de déclaration du nom au Registraire des entreprises remonte au 31 octobre 1991 et il s’identifie sous le matricule 1143359306. Afin de se doter d’une plus grande marge d’action et d’un pouvoir accru en négociation, l’ARAQ se fusionnait à l’ARAPAQ en 1998.
En décembre 2001, lors d’une assemblée générale, les membres du Conseil d’administration de l’ARAPAQ, soutenus par une forte majorité de votes des membres de l’organisation en présence, le conseil démet de ses fonctions le président sortant, monsieur André Gratton.
Lors du congrès annuel qui suivra en avril 2002, monsieur Alcide Genesse, alors vice-président, est élu avec une forte majorité à la présidence de l’ARAPAQ. Et c’est en juin 2002 que les membres du Conseil d’administration ont résolu de changer l’image corporative de leur association. C’est au 11 juin 2002 que s’effectuera le changement de déclaration du nom de l’ARAPAQ pour celui du RESSAQ au Registraire des entreprises.
En avril 2003, en assemblée générale, les membres donnent un mandat sans équivoque au comité exécutif du RESSAQ, soit celui d’analyser toute proposition d’entente de partenariat avec un collaborateur susceptible de permettre à celui-ci de se doter d’un réel pouvoir de représentation et de négociation.
En mai 2003, une affiliation est entérinée entre le RESSAQ et la Centrale des syndicats démocratiques (CSD). À compter du 8 mai 2003, c’est sous l’acronyme du RESSAQ-CSD que les premières requêtes en accréditation suivront leur cours au CRT.
En décembre 2003, le Gouvernement du Québec sanctionne sous le bâillon de l’assemblée nationale son projet de Loi 7 (2003, chapitre 12). Une loi qui révoquera rétroactivement toute reconnaissance en accréditation attribuée par le Tribunal administratif du travail (TAQ). Conséquemment, les RI et les RTF seront exclues de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) et des avantages et les protections que procure le statut de « salarié » au sens du Code du travail.
Le 19 décembre 2003, la Centrale des syndicats nationaux (CSN), en alliance avec d’autres syndicats, dépose deux plaintes contre le gouvernement du Québec pour violation des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiées par le Canada. Également, la centrale contestera devant la Cour supérieure du Québec la constitutionnalité de cette loi, en vertu des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés de la personne. Un périple juridique qui s’annonce long. L’Honorable Danielle Grenier (J.C.S.) sera saisie du dossier.
En 2004, le RESSAQ-CSD devenait le seul organisme officiel représentatif des RTF de 9 adultes et moins auprès du Ministère de la santé et des services sociaux (MSSS). Suivra en 2005, la représentation des RI de 9 adultes et moins. Dès lors, il s’entamait des pourparlers avec le MSSS en vue de conclure une entente pour ses membres. En 2006, le Conseil d’administration du RESSAQ-CSD rejette unanimement un projet d’entente proposé par le Ministre, lequel ne tient aucunement compte des principales revendications des membres du RESSAQ-CSD.
En 2006, le Bureau international du travail (BIT) de l’OIT reçoit favorablement la requête de la CSN et recommande au gouvernement du Québec de corriger la situation pour y inclure les travailleurs dans le régime général du droit du travail collectif, leurs permettant ainsi de se constituer en organisation syndicale et de jouir du libre droit d’association et de la négociation collective. Cependant, le BIT n’a pas le pouvoir déclaratoire d’une ordonnance d’un tribunal.
En 2007, c’est la tenue des auditions à la Cour supérieure du Québec concernant la loi 7, pour laquelle la CSN et le RESSAQ-CSD sont appelés à témoigner. Suivront en début 2008 les plaidoiries de la partie demanderesse et de la défense, le Procureur général du Québec.
Le 31 octobre 2008, la juge Danielle Grenier proclame la Loi 7 inconstitutionnelle, invalide et inopérante. Le Gouvernement annonce qu’il n’interjettera pas appel de la décision du Tribunal. Le RESSAQ-CSD dépose en fin 2008 de nouvelles requêtes en accréditation auprès du CRT.
En avril 2009, le MSSS dépose son projet de Loi 49, Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d'une entente collective les concernant et modifiant diverses dispositions législatives. Des consultations publiques seront tenues en commission parlementaire. Le RESSAQ-CSD présentera son mémoire « Tout près du but : Vers des droits équivalents à ceux des autres travailleurs pour les ressources ». En juin 2009, la Loi 49 (L.R.Q., chapitre R-24.0.2) est sanctionnée reconnaissant aux RI-RTF un régime de négociation et un statut de travailleurs particuliers.
De ce fait, le Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS) est mandaté par le MSSS pour diriger et coordonner les négociations en consultation avec les associations patronales et négocier les matières sectorielles des conventions collectives appliquées dans l’ensemble des RI-RTF avec les différents syndicats, dont le RESSAQ-CSD.
Les négociations avec le CPNSSS débutent en 2010. Le 24 février 2012, le RESSAQ-CSD dépose une requête en médiation au Ministère du travail, après soixante-trois (63) séances de négociation tenues entre le 18 mai 2010 et le 21 février 2012. Cette médiation nécessita trente cinq (35) rencontres. Elle prit fin le 10 juin 2012.
Le RESSAQ-CSD se retrouvant à maintes occasions en désaccord avec les propositions des offres patronales, il tiendra trois grands rassemblements de membres, soient en février 2011, le plus imposant en janvier 2012 sur la colline parlementaire à Québec et suivra en novembre 2012, la manifestation tenue devant les bureaux du CPNSSS à Montréal.
En décembre 2012, une demande officielle à rencontre la Première ministre du Québec, madame Pauline Marois se concrétise. Cette rencontre permettra en janvier 2013 l’instauration d’un comité indépendant, le Comité Lampron. Ce comité a pour mandat de trouver des pistes de solution pour sortir de l’impasse la négociation. Le Comité Lampron rendra son rapport le 31 janvier 2013.
N’ayant toujours pas conclu d’entente,, le RESSAQ-CSD prévoit tenir un 4e rassemblement en mai 2013. Celui-ci sera annulé in extremis à la demande du CPNSSS pour une reprise de la négociation. Celle-ci se conclura par une entente de principe entre des deux parties.
Le 13 juin 2013, c’est l’entérinement par les membres en assemblée générale spéciale de la toute première entente collective négociée du RESSAQ-CSD, après une longue période de plus de trois années de négociation avec le CPNSSS. L’entente est adoptée dans une proportion de 79% pour et 21% contre, ces derniers majoritairement des ressources intermédiaires insatisfaites des propositions patronales.
Monsieur Alcide Genesse se retire en avril 2014 du poste de la présidence du RESSAQ-CSD après 12 années de vie associative active.
Le 31 janvier 2014, le RESSAQ se dissocie de la CSD et devient autonome.